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Que vient faire la World Digital Library dans cette galère ?

21/04/2009

Situation de départ

Préambule : il y a certainement sur internet de merveilleuses analyses de la Bibliothèque numérique mondiale, ou World Digital Library. Malheureusement comme sont pléthoriques les articles se contentant de répéter le communiqué de presse, je n’en ai pas trouvés, noyés dans la masse qu’ils sont ! Donc j’ai trouvé plus rapide de refaire le travail que de le retrouver. C’est un contre-exemple du professionnalisme documentaire et cela me confond (et me morfond).

Récapitulons. Nous avons :

  • Google Books Search, base de livres numérisés des collections de nombreuses bibliothèques des Etats-Unis et d’ailleurs, avec des liens vers des sites de libraires, vers WorldCat et le Sudoc, et vers Google Scholar.
    Quand il y a peu de réponses sur une recherche Google web, on y voit apparaître des résultats Google Books.
  • Gallica, bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France, signalant aussi (par moissonnage OAI) des collections d’autres bibliothèques françaises (la BIUM notamment) mais pas de manière systématique (ce n’est pas « la » bibliothèque numérique française)
  • Culture.fr, portail du patrimoine numérique français, référençant toutes sortes d’objets (enluminures, fresques, églises, linteaux, bibliothèques numériques) — sauf des livres (du moins à ma connaissance).
  • Calames, version en ligne du Catalogue général des manuscrits de France — évidemment depuis la publication de celui-ci, des manuscrits ont été numérisés et mis en ligne, donc Calames est aussi un catalogue permettant d’accéder à des documents numériques
  • Europeana, portail du patrimoine européen. A l’origine, ç’aurait pu/dû être une bibliothèque numérique (plus ou moins initiée par la BnF), mais finalement non. Le projet s’appuyait aussi sur The European Digital Library, qui interroge tout un tas de catalogues de bibliothèques européennes (catalogues de collections physiques, et parfois numériques).
  • Michael, projet visant à référencer toutes les initiatives dans les différents pays de l’UE qui ont pour objet de rendre accessible en ligne le patrimoine européen.

Et je passe évidemment tous les projets Gutenberg, Wikisource, etc.

Bref on a là un ensemble d’outils qui s’imbriquent mutuellement, signalent des ressources de différents niveaux ou sont redondantes, qui ont chacun leur utilité si on comprend à quoi ils servent (d’ailleurs, mes descriptions sont peut-être erronées et je vous invite dans ce cas à me corriger — au fouet si nécessaire).

Que vient faire la World Digital Library là-dedans ?
Deux remarques préalables :

  1. ne pas se laisser a priori abuser par le mot « Library ». En bon bibliothécaire, j’en aurai une définition restrictive (pour les contenus et les services). Mais mon approche est-elle légitime pour une bibliothèque numérique ? Bref, il faut oublier ses propres attentes pour voir ce qu’est effectivement ce truc-là.
  2. Le projet a environ 4 ans. Google Archive confirme mes souvenirs, renvoyant à un article de juin 2005 disant ceci :
    During the year following the Librarian of Congress’ suggestion to create a World Digital Library (WDL), which he proposed before the U.S. National Commission for UNESCO in June 2005, the Library received a $3 million gift from Google Inc. to develop the plan for such a project. The WDL will draw on the experience of the Library of Congress and other national libraries and cultural institutions around the world to create an unprecedented collection of significant primary materials in digital format. The project will build on existing bilateral digital library partnerships with institutions in six countries (Brazil, Egypt, France, the Netherlands, Russia and Spain). A Web site was developed to report on the project’s progress (www.worlddigitallibrary.org). At year’s end, the Library of Congress provided the National Library of Egypt with equipment to digitize manuscripts documenting the history of science in the Islamic world from 800 to 1600.
    Toutefois le résultat final peut ne pas correspondre exactement à la définition initiale.

Voyons enfin ce qu’il en est.

Première approche du site

Premier point important à mentionner : le jour même de son lancement (21 avril), le site est parfaitement accessible. J’avoue que je ne m’attendais pas à ça (disons que nous n’y avons pas été habitués…) !

WDL par WDL

Les pages About sont assez abondantes, et méritent le détour. Cela dit, ça commençait assez mal. En effet la mission du site est est définie ainsi : « La Bibliothèque numérique  mondiale met à disposition sur Internet, gratuitement et en plusieurs langues, une documentation considérable en provenance des pays et des cultures du monde entier. »
Ce qui est une définition du projet extrêmement flou dans son contenu.

L’élaboration du site : « La Bibliothèque numérique mondiale a été mise au point par une équipe de la Bibliothèque du Congrès aux États-Unis » avec différents partenaires.
Les membres décisionnaires sont définis comme suit : « La réunion d’experts a abouti à la création de groupes de travail pour
définir les lignes directrices du projet, ainsi qu’à une décision prise
par la Bibliothèque du Congrès, l’UNESCO, et les cinq institutions
partenaires – la Bibliotheca Alexandrina, la Bibliothèque nationale du
Brésil, la Bibliothèque et les Archives nationales de l’Égypte, la
Bibliothèque Nationale de Russie, et la Bibliothèque d’État russe
« . Notez donc au passage la disparition de la France, des Pays-bas et de l’Espagne par rapport à la liste de juin 2005 indiquée plus haut. Cela dit il y a 33 établissements partenaires (essentiellement des bibliothèques) autour du groupe de travail.

J’aime bien la « caractéristique » de l’exigence de qualité, qui pourrait être lue comme désobligeante en creux : « La Bibliothèque numérique mondiale représente un changement par rapport
aux projets de bibliothèques numériques puisqu’au lieu de se concentrer
sur la quantité dans son propre intérêt, elle met l’accent sur la
qualité ; la quantité demeure une priorité, mais pas au détriment des
normes de qualité établies au cours de la phase de démarrage.
 »

La page des contributeurs financiers n’est pas inintéressante, puisqu’elle mentionne notamment Google, Microsoft et la Fondation du Qatar (mais pas seulement — contrairement à ce que j’ai lu ici où Google semblait le seul partenaire financier).

Après tout ça, on ignore encore :

  1. quelle masse de contenu est projetée (en nombre de documents)
  2. quels types de contenus sont concernés

En effet comme je le signalais à propos des missions de la WDL, l’objectif qu’ils se donnent est très généreux, mais très vague, et avec ça on ignore si ça devrait ressembler à une collection d’ouvrages exceptionnels (par leur texte ? par leur facture) (comme une bibliothèque numérique), d’objets remarquables (comme un musée numérique), de documents rarissimes comme une base d’archives numérisées, ou d’un mélange de tout cela (portail du patrimoine mondial).
Leur auto-description incite à penser à la dernière définition, donc à voir dans la WDL une version mondiale d’Europeana (notez que c’est ce que suggère la FAQ, qui fait allusion à Europeana).
Vous voyez qu’il fallait se méfier du mot « library » !

WDL par Lully

Pour l’ergonomie, la WDL privilégie fortement la navigation sur la recherche. Est-ce idéologique ? Europeana avait plutôt choisi l’inverse. Je me demande si ce n’est pas aussi un peu conjoncturel : étant donné le petit nombre de documents pour le moment (je suppose que « 1170 objets entre 8000 av. J.-C. 2009 ap. J.-C. » signifie qu’il y a 1170 documents dans la base), une utilisation systématique du moteur de recherche risque d’amener trop de silence. Une navigation avec filtres successifs ne permet de trouver que des documents effectivement dans les fonds.
L’internaute peut donc naviguer par période, thème, type d’élément et institution d’origine. Mais c’est évidemment la mappemonde qui est mise en valeur sur la page d’accueil. Sur ce point c’est tout à fait cohérent avec les missions de l’Unesco de « promouvoir l’entente internationale et interculturelle ».

L’accès par type m’apprend enfin qu’il s’y trouve (je les mets volontairement par ordre décroissant) :

  • 536 gravures et photographies
  • 306 cartes
  • 151 livres
  • 124 manuscrits
  • 37 revues (en fait 34 numéros d’une revue, et 3 n° d’une autre)
  • 11 films
  • 5 enregistrements sonores

Donc pas d’objet muséographique (autoportrait de maître, salière ouvragée, tapisserie médiévale) ni de monument.
Finalement, ce sont bien des documents susceptibles de se trouver dans des bibliothèques. Je m’étais trompé.
Ou bien non.
Car la quantité de ces différents types de documents nous pousse aussi vers les archives (le nombre de photographies surtout).
Bref, la WDL est ce qu’elle est, mais au moins nous en sommes désormais à peu près conscients.
Sauf que :

  1. il est impossible de savoir si ces proportions vont demeurer constantes.
  2. compter en nombre de documents n’est pas la même chose que compter en nombre d’images. Donc le nombre d’images cumulées des livres + manuscrits + revues dépasse évidemment le nombre de photographies et de cartes. Sauf qu’en privilégiant l’accès aux documents par navigation, on fait ressortir les documents monopages plus qu’ils ne le « mériteraient ».

Bref, c’est bien une bibliothèque numérique, apparemment, mais qui ressemble beaucoup à une hypothétique collections d’archives de la mémoire du monde, ou quelque chose comme ça.

WDL tout court

J’ai passé beaucoup de temps à essayer de comprendre et définir ce qu’était la WDL. Désolé si je vous ai lassé.
Voyons enfin les fonctionnalités !

L’interface est en 7 langues, toutes les notices sont traduites systématiquement. Quand vous faites une requête, il va chercher dans les mots de la notice dans la langue choisie (par ex., « débarquement » sur l’interface en anglais donne 0 résultat, mais 10 en français).

J’ai mis du temps à comprendre le fonctionnement de la frise chronologique sous la carte du monde. Je pensais qu’on pouvait cliquer sur des dates — en réalité il faut restreindre la fourchette de temps en déplaçant les bornes latérales comme des targettes.

Il n’y a pas de recherche avancée : sans doute les filtres sont censés en tenir lieu.

Il y a 31 documents pour la France, donc 5 livres et 5 manuscrits. Leur choix laisse décidément perplexe, mais leur contenu est malgré tout intéressant : ainsi les Antiquité judaïques illuminées (et je pèse mes mots : j’ai les yeux éblouis) par Jean Fouquet sont superbes. Cela dit leur consultation révèle désastreux le choix de la technique d’affichage : du fait du poids des images, celles-ci apparaissent en plusieurs temps. A la longue, c’est usant (et je pèse mes mots : j’ai les yeux explosés).

Chaque image est téléchargeable, chaque document intégral l’est aussi. On peut récupérer du JPG et du GIF.

Au niveau des notices, le service de favoris en ligne AddThis.com est proposé. En revanche le choix de la visionneuse utilisée interdit de pointer vers une page précise d’un document,  ce qui est regrettable.

La notice détaillée ne propose ni métadonnées récupérables en format bibliographique, et ne contient pas de COinS.

Le résultat produit une impression de site d’exposition en ligne, ou de dossiers documentaires, plus que d’une bibliothèque numérique. Les modes de navigation (avec des vignettes cliquables partout), mais aussi la charte graphique (avec un côté « écrin ») y sont pour beaucoup.

Bref, à mon sens c’est très beau mais inutilisable en l’état pour un scientifique. L’absence de politique documentaire affichée liée au petit nombre de documents ne donne pas envie d’y revenir. Et il n’y a pas de fil RSS des nouveautés. Peut-être les deux groupes Facebook déjà existants en tiendront-ils lieu, quoiqu’ils ne soient pas très riches d’informations. Enfin, je n’ai rien vu qui puisse me permettre de croire qu’on pourra interroger simultanément la WDL et d’autres ressources (z39.50, API, etc.).

Bref, j’en sors non pas déçu, puisque je n’en attendais pas grand chose — mais sceptique.

Bon, c’est tout ce que j’ai à dire sur cette WDL. Mais c’était déjà beaucoup trop long !